eActros : plus qu’un véhicule électrique, une plateforme pensée pour durer
Nous étions à Molsheim au début de ce mois, pour notamment assister à la présentation de l’eActros 600 sur la route et surtout de l’eActros 400, une gamme qui prend sa place avec l’annonce de 40 nouvelles configurations possibles et l’arrivée bientôt d’un eArocs. Cette évolution vient traduire une volonté du constructeur de délivrer des solutions adaptées aux multiples contraintes opérationnelles des transporteurs, tout en conservant des fondements technologiques communs entre modèles.
Retour d’expérience et perspectives transporteurs
Lors d’un essai en conditions réelles, Michael Wolf, chef de projet R&D eActros LongHaul, a souligné la maîtrise technologique du projet, fruit de cinq années de développement, il nous présente l’eActros sous le prisme d’une genèse projet qui définit l’essence même de ce camion unique. Entretien avec un expert de la gamme au volant d’un eActros 600 dans la campagne alsacienne :
Michael Wolf – Chef de projet R&D eActros LongHaul, Daimler Truck AG
« L’eActros 600 est bien plus qu’un véhicule : c’est une plateforme conçue pour durer. »
Entretien réalisé à Molsheim par Catherine Mahé-Godeloup, Truckeditions
Truckeditions : Vous êtes au cœur du développement de l’eActros 600. Pouvez-vous nous dire quel a été votre rôle exact dans ce projet ?
Michael Wolf :
« Je suis chef de projet technique pour la R&D pour ce véhicule. Cela fait cinq ans que je travaille à plein temps sur l’eActros 600. Je suis impliqué depuis le tout début, même avant qu’il ne devienne officiellement un projet structuré. C’est un véhicule que je connais dans ses moindres détails.
Avant cela, j’ai occupé plusieurs postes chez Daimler Truck, depuis 1999 : d’abord en recherche, puis en mécatronique, ce qui m’a permis de travailler sur l’ergonomie. J’ai aussi été en charge de sujets liés à la connectivité, à la visibilité en cabine, et au positionnement des éléments de commande. Ensuite, j’ai rejoint la division Vans, puis je suis revenu au développement de véhicules complets, spécifiquement sur les camions électriques. »
Truckeditions : Pouvez-vous nous en dire plus sur la naissance du projet eActros LongHaul, comment a-t-il vu le jour ?
Michael Wolf :
« Au départ, on nous a demandé de réfléchir à ce que pourrait être un camion électrique destiné à la longue distance. La première question a été : à quoi devrait ressembler ce véhicule, et surtout, quelles seraient ses spécifications clés ?
Pour y répondre, nous sommes allés en Suisse rencontrer des clients précurseurs, qui avaient acheté des camions électriques convertis, notamment chez Designwerk. Ils avaient investi beaucoup d’argent dans ces premières solutions, et leur retour d’expérience a été très précieux. Ensuite, nous avons analysé des milliers de données d’exploitation pour comprendre les usages réels. Nous avons aussi constitué un groupe européen d’utilisateurs engagés dans la transition énergétique — les Partners of Sustainable Transportation — avec lesquels nous avons travaillé dès les premières phases de conception. »
Truckeditions : Quelle a été la principale exigence dès le départ concernant ce vaste projet ?
Michael Wolf :
« L’autonomie. C’est évidemment le point critique pour un véhicule électrique longue distance. Nous avons étudié les trajets quotidiens de nos clients et constaté que 60 % d’entre eux sont autour de 500 km. C’est devenu notre objectif de référence : concevoir un camion capable de parcourir 500 km à pleine charge, sans recharge intermédiaire. Cela a structuré tout le développement. »
Truckeditions : Parlons de la batterie. Pourquoi avoir choisi la chimie LFP plutôt que NMC, plus courante dans les véhicules lourds ?
Michael Wolf :
« Deux raisons. D’abord, la longévité : la LFP résiste bien mieux au vieillissement. Ensuite, son utilisabilité réelle : on peut exploiter une plus grande part de la capacité installée. Avec le NMC, vous avez souvent 15 à 20 % d’énergie inutilisable pour préserver la batterie. La LFP permet de mobiliser presque toute l’énergie disponible. En plus, la chimie que nous avons sélectionnée est une formulation spécifique, conçue pour assurer une longue durée de vie. Notre objectif est que le pack tienne toute la durée de vie du camion — dix ans ou 1,2 million de kilomètres — sans remplacement. »
Truckeditions : La recharge est un autre point clé sur un tel véhicule. Quels choix avez-vous faits ?
Michael Wolf :
« L’eActros 600 est basé sur une architecture 800 V, ce qui nous permet déjà de charger à 400 kW via le standard CCS. Nous développons aussi la compatibilité avec la recharge mégawatt (MCS), qui permettra d’atteindre plus de 1 000 kW. Cette puissance de charge est essentielle pour assurer la rentabilité en exploitation longue distance. L’idée est de pouvoir planifier les pauses réglementaires de 45 minutes avec une recharge efficace pendant ce temps. »
Truckeditions : L’efficience globale du véhicule semble avoir été au centre de vos préoccupations…
Michael Wolf :
« Absolument. Nous avons optimisé trois grands leviers : l’aérodynamique, la chaîne de traction électrique, et la gestion thermique. La nouvelle cabine ProCabin a été développée pour réduire la traînée aérodynamique. Ensuite, nous avons conçu en interne un essieu électrique (e-axle), assemblé à Kassel, avec les moteurs directement montés sur l’essieu. Cela permet de libérer l’espace central pour les batteries, et surtout d’éliminer les pertes d’espaces liés à l’arbre de transmission. Enfin, côté thermique, nous avons interconnecté plusieurs circuits de refroidissement (e-axle, composants HV, climatisation) pour récupérer la chaleur générée et l’utiliser pour chauffer la cabine ou les batteries. Cela évite de recourir à un chauffage électrique supplémentaire, ce qui est très efficace. »
Truckeditions : Avez-vous validé ces performances en conditions réelles ?
Michael Wolf :
« Oui, en complément d’une multitude de tests effectués pendant la genèse du projet, à l’occasion du European Testing Tour, nous avons parcouru plus de 15 000 km à travers l’Europe, toujours à 40 tonnes, en rechargeant uniquement sur des bornes publiques. La consommation moyenne a été de 103 kWh/100 km, ce qui est un très bon résultat. »
Truckeditions : Parlons de la conduite. En quoi est-elle différente avec un camion électrique ?
Michael Wolf :
« Le changement est immédiat. La cabine est silencieuse, il n’y a presque aucun bruit, sauf le vent. L’e-drive est très puissant : 400 kW en continu, 600 kW en pic. Nous avons intégré tous les systèmes d’assistance, comme le Predictive Powertrain Control (PPC), qui gère automatiquement les phases de ralentissement et d’optimisation. Et puis, la récupération d’énergie est essentielle. En descente, il faut éviter de freiner et privilégier la régénération. Le camion recharge alors sa batterie tout en ralentissant. Cela peut se faire manuellement, ou automatiquement avec le régulateur. »
Truckeditions : Comment les conducteurs perçoivent-ils ce changement ?
Michael Wolf :
« Beaucoup sont sceptiques avant d’essayer. Mais après un premier test, ils sont souvent surpris par le silence, le confort et la puissance. Et la question de l’autonomie, qui revient toujours, s’efface lorsqu’ils constatent qu’on atteint vraiment les 500 km, comme promis. Certains me disent même : « Je n’y croyais pas ». Mais on l’a démontré à plusieurs reprises. »
Truckeditions : Quel message souhaiteriez-vous leur transmettre ?
Michael Wolf :
« Je leur dirais simplement : essayez. Ceux, qui ont fait le test, ne veulent souvent plus revenir en arrière. En plus du confort de conduite, ils bénéficient d’une meilleure qualité de vie à bord : moins de vibrations, pas de chaleur qui remonte du moteur, et surtout un système de climatisation utilisable toute la nuit grâce à la capacité énergétique. En fin de compte, beaucoup l’adoptent. »
Truckeditions : Et côté infrastructures de recharge ? Le déploiement avance-t-il ?
Michael Wolf :
« C’est le principal enjeu maintenant. Nous avons les produits, mais il faut l’infrastructure adaptée. En Scandinavie, on voit déjà des stations dédiées aux camions, avec de vrais services : bornes spécifiques, sanitaires, espaces de repos… En Europe, la coentreprise Milence (Traton, Volvo, Daimler Truck) travaille activement sur le déploiement. Ces stations fermées offrent une expérience bien plus agréable que les parkings ouverts classiques. C’est un vrai plus pour les conducteurs. Et en France, les parkings sont parfois mieux situés qu’en Allemagne, souvent moins bruyants, mais sans doute pas assez nombreux à être équipés. »
Truckeditions : Un dernier mot sur ce que représente ce projet pour vous ?
Michael Wolf :
« Pour moi, ce véhicule n’est pas qu’un camion. C’est une plateforme conçue pour durer, pensée dès le départ pour répondre à la réalité du transport longue distance. Il incarne tout ce que nous avons appris sur l’électromobilité, appliqué à grande échelle. »
Une plateforme technologique commune pour deux usages distincts
Rapplelons que l’eActros 600, lancé en production fin 2024, constitue le socle technologique de cette nouvelle génération. Il repose sur une architecture 800 V, un essieu électrique maison (eAxle) à deux moteurs, et trois batteries lithium-fer-phosphate (LFP) offrant une capacité totale de 621 kWh. Cette configuration permet d’assurer une autonomie réelle de 500 km, voire 560 km selon l’exploitation. L’eActros 400, version plus légère, reprend ces technologies avec deux batteries pour une capacité de 414 kWh et une autonomie allant jusqu’à 480 km.
Les deux camions intègrent de série la nouvelle cabine ProCabin ou la cabine L classique. Ils bénéficient également du nouveau cockpit digital Interactive 2, conçu pour accompagner la conduite électrique avec une gestion dynamique de l’autonomie, des flux d’énergie et des systèmes d’assistance avancés, comme le PPC adapté à la topographie.
Une gamme adaptable aux profils d’exploitation variés
Mercedes-Benz Trucks propose désormais plus de 40 combinaisons possibles pour l’eActros : choix de la cabine, nombre de batteries, type de châssis (tracteur ou porteur) et différents empattements. L’eActros 600 dit s’adresser prioritairement aux missions longue distance, avec recharge rapide (400 kW en CCS2, compatibilité future MCS), tandis que l’eActros 400 cible le transport de distribution lourde, avec un gain de charge utile pouvant atteindre 3 tonnes par rapport à son aîné.
Côté production, les deux modèles sont assemblés à Wörth sur la même chaîne de montage que les versions diesel, avec un approvisionnement coordonné des composants électriques depuis les usines de Mannheim, Kassel et Gaggenau. L’objectif affiché est de proposer une alternative industrielle crédible pour chaque segment du transport routier.
Vers un portfolio électrique modulaire et interopérable
Avec l’eActros 400, le constructeur complète son offre dans la mobilité électrique pour le transport lourd. La modularité de l’offre et la convergence technologique entre modèles témoignent d’une stratégie de maillage industriel cohérente. Pour que cette dynamique se confirme, les représentants du constructeur appellent toutefois à une politique européenne plus lisible et stable, notamment sur les standards d’infrastructure et les incitations. Le déploiement du réseau TruckCharge et les efforts sur la productivité en exploitation seront déterminants.
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