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Recharge des poids lourds électriques au dépôt : ce que chiffre Enedis d’ici 2050

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À la tombée du jour, les ensembles rentrent en file. L’exploitation boucle les tournées du lendemain, les quais se vident, la cour retombe. Et, dans beaucoup d’entreprises, une question nouvelle prend de la place : quelle puissance électrique est réellement disponible, et comment l’utiliser sans désorganiser les retours, les départs et les mises à quai.

C’est précisément ce que met en perspective le rapport Enedis publié ce mois-ci, consacré aux besoins de recharge au dépôt et en entrepôt pour les poids lourds électriques, avec deux horizons : 2035 puis 2050. L’OTRE indique avoir notamment été consultée dans le cadre de ces travaux, complémentaires d’une étude antérieure sur la recharge en itinérance.

Camions électriques : puissance, HTA, points chauds… ce que projette Enedis pour 2035–2050
Camions électriques : puissance, HTA, points chauds… ce que projette Enedis pour 2035–2050

Un travail qui colle à la géographie logistique

Le rapport ne part pas d’un chiffre national “moyen”. Il reconstruit d’abord une carte de la logistique française à partir des permis de construire d’entrepôts (1975–2023), spatialisés sur un maillage d’environ 1 km² et concentrés sur les zones d’activités pour refléter l’implantation réelle des plateformes.

Les flux poids lourds sont ensuite estimés et redistribués sur ces zones logistiques, avant d’être convertis en besoins énergétiques et en profils de charge. Pour passer du modèle au quotidien, Enedis s’appuie sur les comportements de stationnement actuels des poids lourds thermiques et exploite un jeu de données constructeur représentant près de 6 millions de pauses sur les zones étudiées : de quoi approcher les heures d’arrivée, les durées d’arrêt et la probabilité de recharge selon le type de pause.

11,8 TWh en 2035 : la recharge se joue d’abord sur site

À l’échelle de la France métropolitaine, Enedis estime que l’énergie nécessaire pour recharger les poids lourds électriques pourrait atteindre 11,8 TWh en 2035, puis 24,1 TWh en 2050.

Surtout, le rapport met en évidence un point décisif pour les transporteurs : la recharge serait majoritairement réalisée au dépôt ou en entrepôt, à hauteur de 8,3 TWh en 2035 puis 16,8 TWh en 2050, soit environ 70 % de l’énergie totale dédiée à la recharge. Le solde (environ 30 %) correspondrait à l’itinérance, principalement sur les trajets longue distance.

Autrement dit, l’infrastructure “route” ne suffira pas à raconter la transition : la bascule se prépare au cœur des dépôts et des plateformes, là où se négocient déjà les créneaux, les attentes, les retours de tournées et les contraintes de foncier.

Taux de pénétration du parc roulant de poids lourds électriques, et des segments porteurs et tracteurs (trajectoire Enedis)

Le nerf de la guerre : les pointes de puissance, et l’heure à laquelle elles arrivent

Un volume annuel (en TWh) dit “combien” et une pointe (en GW) dit “quand ça coince”. Sur ce plan, le rapport chiffre un pic national de puissance lié à la recharge en dépôt et en entrepôt de 2,4 GW en 2035, pouvant doubler pour atteindre 4,8 GW en 2050.

Le point intéressant, c’est que l’enjeu n’est pas seulement le niveau du pic, mais sa position dans la journée. Les analyses de sensibilité montrent que la valeur du pic évolue peu selon qu’on privilégie des recharges plus rapides sur les pauses courtes ou plus lentes sur les pauses longues, mais que le moment du pic se déplace : plutôt la nuit si la recharge lente domine, plutôt sur la pause méridienne si la recharge rapide sur pauses courtes prend le dessus.

Et le rapport le précise : les scénarios de calcul supposent une recharge non pilotée. Autrement dit, les véhicules sont censés se brancher et commencer à charger dès l’arrivée, sans stratégie pour décaler le démarrage ou répartir la charge dans la nuit, ni pour ajuster la puissance entre plusieurs camions afin d’éviter les pics. En filigrane, cela signifie que l’organisation de la recharge, au même titre qu’un plan de départs, pourrait devenir un levier pour lisser les pointes, mais que ce levier n’est pas intégré dans la courbe de référence.

Distribution des présences des poids lourds dans les zones logistiques, en fonction de l'heure et de la durée d'arrêt pour un jour ouvré.
Caractéristiques techniques retenues des trois catégories de poids lourds électriques prises en compte dans l'étude :
consommation unitaire (hors perte aux bornes) et capacité de la batterie.

Beaucoup de sites, donc beaucoup de raccordements, souvent en HTA

L’étude décrit un besoin largement réparti : environ 7 300 zones logistiques (mailles de 1 km²) avec surfaces d’entrepôts significatives ont été analysées. Cette diffusion implique, pour Enedis, un volume important de raccordements en haute tension A (HTA) dans les années à venir, même si l’impact sur les ouvrages structurants (postes sources) resterait limité au regard des hypothèses retenues.

Le rapport souligne aussi qu’un nombre important de zones logistiques dépasserait 250 kVA, seuil typiquement associé à des raccordements HTA, avec des concentrations notées notamment en Bretagne, Pays de la Loire et le long de grands axes logistiques reliant le Nord à l’Île-de-France, ainsi que l’axe Lyon–Marseille.

Les points chauds : des plateformes au-delà de 10 MW dès 2035

Cette diffusion n’efface pas des zones particulièrement exigeantes. Enedis cite, parmi les exemples marquants, l’aire logistique de Saint-Quentin-Fallavier (Isère), où les besoins de puissance projetés dépasseraient 10 MW dès 2035, et pourraient dépasser 20 MW à l’horizon 2050.

Plus largement, le rapport identifie des besoins de puissance supérieurs à 5 MW sur une dizaine de zones logistiques en 2035, et sur environ 40 zones en 2050.

À la maille des postes sources, Enedis indique qu’à horizon 2035, la puissance soutirée dépasserait 10 MW sur un seul poste source, puis que ce seuil serait franchi sur 12 postes sources en 2040 et 33 en 2050.

Hypothèses de recharge utilisées pour calculer les courbes de charge

Ce que ça change au dépôt : trois arbitrages très concrets

Au-delà des chiffres, le rapport met en lumière trois décisions qui vont entrer dans le quotidien des transporteurs.

La première est celle du lieu de recharge : dépôt, entrepôt de destination, ou combinaison des deux. Puisque la recharge se ferait majoritairement sur site, la question de l’accès à la puissance et du partage des coûts ne se traite plus uniquement entre transporteur et réseau, mais aussi dans la relation avec les chargeurs et logisticiens.

La deuxième concerne le calendrier de charge. Sans pilotage, la recharge a tendance à se concentrer sur les mêmes créneaux, parce que l’activité fonctionne par vagues (retours, nuit, redéparts). Le rapport montre que le pic peut se déplacer selon les comportements. Dit autrement : la recharge ne sera pas seulement une installation technique, elle deviendra un levier de planification, à arbitrer comme on arbitre des horaires, des quais et des temps d’attente.

La troisième touche au modèle d’accès : IRVE privée au dépôt, IRVE partagée entre transporteurs, ou bornes ouvertes sur zone logistique. Le rapport rappelle que les puissances calculées correspondent à une “demande” théorique ; l’offre réellement disponible dépendra des modèles d’affaires et des contraintes propres à chaque site.

Le rapport Enedis ne dit pas que l’électricité “bloquera” le TRM. Il dit que l’électrification va se jouer dans des endroits très concrets : les dépôts, les quais, les plateformes. Les volumes (11,8 TWh dès 2035) posent le cadre, mais la discussion opérationnelle commence avec la puissance disponible, les pointes de demande et l’anticipation des raccordements, surtout sur les zones logistiques denses.

Enedis souligne enfin que ces besoins doivent être replacés dans un mouvement plus large d’électrification (industrie, data centers, chauffage, autres mobilités), ce qui renforce l’intérêt d’une coordination locale entre gestionnaire de réseau, collectivités, aménageurs, transporteurs et opérateurs de charge.
CGM pour Truckeditions

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