Descendre le camion plutôt que monter les charges : la promesse d’Incitis pour la livraison urbaine
Dans les grandes métropoles européennes, la livraison urbaine concentre désormais une part décisive des enjeux du transport routier de marchandises. Selon une étude de l’ADEME, les flux de livraison en ville représentent environ 20 % du trafic routier et génèrent près d’un quart des émissions de CO₂ dans les centres urbains. Dans le même temps, le « dernier kilomètre » pèserait entre 30 et 50 % des coûts logistiques totaux, ce qui en fait potentiellement le maillon le plus coûteux et le plus sensible de la chaîne pour les transporteurs comme pour leurs clients chargeurs. À cette équation économique et environnementale s’ajouteraient des contraintes sociales fortes : les métiers de la livraison et de la logistique restent parmi les plus exposés aux troubles musculo-squelettiques, avec plusieurs dizaines de millions d’euros de coûts annuels liés aux TMS pour le seul secteur transport/logistique en France.
C’est dans ce contexte qu’Incitis, start-up française fondée en 2019, a présenté à Solutrans son projet Urban Cargo avec un objectif clair : ne pas ajouter un porteur électrique de plus au marché, mais repenser l’architecture même du véhicule dédié à la livraison urbaine. À la tête de l’entreprise, Éric Poyeton s’appuie sur une équipe d’experts, rompue à l’industrialisation et à la construction de véhicules industriels. Autour du projet Urban Cargo, Incitis a déjà déposé, en partenariat avec le CEA (Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives), cinq brevets qui portent à la fois sur la cinématique de mise à niveau du véhicule et sur la gestion de l’énergie. Incitis s’appuie aujourd’hui sur un noyau de 27 personnes – commerce, bureau d’études, fonctions support – et toutes travaillent avec un objectif commun : améliorer la productivité au point de livraison et en faire un levier concret de décarbonation et d’amélioration des conditions de travail.
Sur le plan énergétique, l’Urban Cargo embarque systématiquement un pack batterie situé derrière la cabine, dimensionné pour assurer environ 180 km d’autonomie en usage urbain. Selon les besoins d’exploitation, cette base électrique peut être complétée par un prolongateur d’autonomie : pile à combustible hydrogène, second pack batterie ou moteur à combustion interne alimenté au biogaz. L’objectif affiché par Incitis est de proposer, à partir de cette architecture commune, une autonomie opérationnelle de l’ordre de 400 km en zéro émission à l’échappement.
Segments de produits et types d’activités visés : un porteur urbain multi-métiers
Avec Urban Cargo, Incitis vise un socle de métiers bien identifiés dans la livraison urbaine B2B. Le véhicule a été conçu comme un porteur 100 % urbain, à plancher plat, doté de cinq ouvertures sur trois côtés et capable de s’abaisser au plus près du sol en phase de livraison. Dans sa configuration de base, il s’adresse d’abord à la livraison de magasins de centre-ville et de surfaces spécialisées, où la multiplicité des arrêts et la pression sur les créneaux horaires rendent chaque manœuvre de hayon coûteuse en temps et en pénibilité.
La version à température contrôlée cible directement les flux alimentaires hors domicile, pour la restauration, les bars, l’hôtellerie et la distribution de boissons. La possibilité de segmenter l’intérieur en zones de température différenciées répond aux contraintes de produits frais, surgelés ou secs dans une même tournée. Sur ces métiers, la combinaison entre une charge utile de 8 tonnes, la baisse des manutentions et la réduction du temps d’arrêt au point de livraison devrait permettre de sécuriser des schémas urbains tout en accompagnant la bascule vers des motorisations zéro émission.
Les premiers prototypes réalisés par l’actionnaire carrossier-constructeur néerlandais d’Incitis ont également servi de démonstrateurs pour des usages plus spécifiques. Des configurations de type inloader ont déjà été testées pour les miroitiers, avec une grande ouverture latérale dédiée au chargement de vitrages pour le BTP en milieu urbain. Un véhicule surbaissé a été exploité en fromagerie, le porteur entrant directement dans les caves afin de supprimer une rupture de charge et de doubler la productivité sur les opérations de chargement.
Autre illustration, un camion atelier a permis d’intervenir sur des moissonneuses-batteuses immobilisées, en remplaçant le recours coûteux à un acheminement de roues par hélicoptère. Incitis travaille enfin avec des fabricants de vélos cargo pour intégrer leurs boxes à bord de l’Urban Cargo. Le porteur prend alors le rôle d’un hub, maillon d’approche au plus près de l’hypercentre : sur une simple place de stationnement, le vélo cargo peut échanger en une minute un module plein contre un module vide, sans passer par un hôtel logistique urbain. Pour les transporteurs, cette logique multi-usages place le véhicule au croisement de plusieurs métiers urbains, de la distribution spécialisée à la blanchisserie en passant par le BTP de proximité.
Incitis, une start-up française dédiée à la livraison urbaine

Entretien avec Éric Poyeton, président d’Incitis, réalisé par Catherine Mahé Godeloup pendant le salon Solutrans.
Truckeditions : Incitis est un nom encore récent dans le paysage du transport urbain. Pouvez-vous rappeler en quelques mots la genèse de l’entreprise et la manière dont vous vous positionnez sur ce marché ?
Eric Poyeton, président Incitis :
« Incitis a été créée en 2019, avec un début d’activité qui s’est réellement installé après la période Covid. Notre positionnement est très clair : nous voulons prendre à bras-le-corps l’ensemble des enjeux du transport urbain massifié.Cela englobe la réduction de la pollution et de la congestion du trafic, l’amélioration de la sécurité et des conditions de travail des chauffeurs, ainsi que tout ce qui se joue autour du véhicule lors des opérations de livraison en ville.
Notre objectif est également économique : parvenir à proposer des solutions zéro émission dont le coût d’usage soit équivalent à celui du diesel. »
Urban Cargo, un concept de véhicule qui se pose au sol pour la livraison
Truckeditions : Vous avez présenté à Solutrans le véhicule Urban Cargo. Quelles sont, selon vous, les innovations majeures de ce véhicule et en quoi changent-elles concrètement le travail des chauffeurs et des transporteurs en zone urbaine ?
Eric Poyeton :
« La caractéristique principale de l’Urban Cargo est sa capacité à se poser au sol pour la livraison. Cette cinématique, qui fait l’objet d’un brevet, permet de diviser par trois, en moyenne, le temps nécessaire à chaque livraison. Concrètement, nous observons un gain d’environ 30 % de productivité à la tournée.
Ce gain vient s’ajouter à ce que les transporteurs savent déjà très bien faire en amont, qu’il s’agisse de l’optimisation des entrepôts, des flux ou des tournées.Là où, jusqu’à présent, personne n’avait vraiment apporté de réponse, c’est à l’arrêt, au moment où il faut décharger et livrer.
C’est ce que nous adressons : la productivité directe, mais aussi la productivité indirecte, en réduisant les risques d’accidents et de maladies professionnelles liés aux gestes répétés, aux montées et descentes de hayon, aux contraintes physiques liées à l’arrière du camion. »
Truckeditions : Comment se traduit ce gain de productivité pour un chauffeur sur une tournée type, très concrètement sur le terrain ?
Eric Poyeton :
« Dans le schéma classique, le chauffeur descend du camion, déplie le hayon arrière, l’abaisse, monte dessus, souvent sans le descendre complètement, ce qui abîme les genoux, puis remonte, va chercher la marchandise parfois au fond du véhicule, redescend, et ainsi de suite.Avec l’Urban Cargo, le chauffeur appuie sur un bouton : le camion descend, la cabine descend également, ce qui crée une véritable cabine à entrée basse. Le chauffeur sort facilement et accède directement aux ouvertures latérales. Nous avons cinq accès répartis sur trois côtés. Il vient chercher le conteneur dont il a besoin, le fait rouler, le remplace par un conteneur vide, remonte dans la cabine et repart.
Tout est pensé pour limiter les efforts physiques, les séquences inutiles et les temps morts. »
Un modèle économique construit avec les transporteurs et les carrossiers partenaires
Truckeditions : Vous évoquez un modèle économique reposant à la fois sur la vente et la location. Comment se structure aujourd’hui votre approche commerciale vis-à-vis des transporteurs et de leurs partenaires ?
Eric Poyeton :
« Nous avons prévu de vendre les véhicules en direct, en nous appuyant sur des forces de vente partenaires, sous forme d’apporteurs d’affaires indépendants.
Un point très important, pour un secteur comme le transport, est de continuer à travailler avec les carrossiers. Même si nous sommes capables d’aller très loin sur l’industrialisation du produit, nous tenons à ce que des carrossiers partenaires terminent le véhicule. Ils seront nos relais avancés sur le terrain pour capter les besoins, adapter les solutions et accompagner les clients.
La location fait aussi partie intégrante de notre modèle, via des loueurs spécialisés avec lesquels nous sommes déjà en discussion. L’un d’eux nous a d’ailleurs adressé une lettre d’intention portant sur un volume significatif, ce qui confirme l’intérêt du marché. »

De la maquette à la série : feuille de route industrielle et déploiement européen
Truckeditions : Si l’on se projette maintenant sur le calendrier industriel, quelles sont les grandes étapes prévues pour l’Urban Cargo jusqu’à la mise en production série, et avec quelles ambitions de volumes ?
Eric Poyeton :
« Entre le printemps et l’été de l’année prochaine, nous allons assembler un premier véhicule, notre démonstrateur. Il roulera d’abord « en interne », puis sera testé par des clients sur site fermé, notamment à Transpolis en fin d’année.En 2027, nous produirons quatre véhicules destinés à Incitis, qui serviront à l’homologation définitive et à la réception.
Au premier semestre 2028, nous fabriquerons quatorze véhicules de présérie, que nous appelons véhicules de « satisfaction client ». Ils seront confiés à des clients pilotes afin de rouler en conditions réelles et d’intégrer des packs de modifications pour atteindre le niveau de fiabilité attendu en série.
La production de série démarrera au début du deuxième semestre 2028 chez un partenaire assembleur en région Auvergne-Rhône-Alpes, où nos équipes monteront en compétence.
Puis nous basculerons sur notre propre site d’assemblage au 1er janvier 2029.
Sur l’exercice 2028–2029, nous visons environ 300 véhicules produits et vendus. Ce volume nous permet d’atteindre notre seuil de rentabilité. En régime établi, notre objectif est de tenir un rythme d’environ 1 000 unités par an. »
Truckeditions : Cette montée en cadence s’accompagne d’une stratégie de déploiement géographique. Comment se répartissent vos priorités entre la France et l’international ?
Eric Poyeton :
« Nous allons démarrer avec des clients pilotes en France, car le marché urbain y est très structuré et les sujets de productivité et de décarbonation sont bien identifiés.En parallèle, nous lancerons un ou deux véhicules pilotes aux Pays-Bas. Incitis est une entreprise franco-néerlandaise et l’un de nos actionnaires est un carrossier-constructeur néerlandais, qui a réalisé les prototypes et peut mettre rapidement des véhicules en circulation chez ses clients.
Dans un deuxième temps, nous irons attaquer le marché allemand, qui fait partie des grands pays cibles pour ce type de véhicule. En parallèle, nous développerons une version à conduite à droite pour le Royaume-Uni, en collaboration avec un partenaire commercial déjà identifié.
Nous avons également des perspectives en Turquie, qui est un pays important pour ce genre de configurations. Et, par effet de tache d’huile, nous anticipons des ventes en Italie, en Suisse et en Espagne, même sans effort commercial massif sur ces marchés. »
Truckeditions : Pour des transporteurs, l’acquisition ou la location d’un nouveau véhicule ne se décide pas uniquement sur les performances, mais aussi sur l’assurance d’un service après-vente solide. Comment avez-vous abordé cet aspect ?
Eric Poyeton :
« L’après-vente est vraiment le cœur du sujet. On peut parler d’innovation et de technologie, mais si l’après-vente ne suit pas, le projet n’est pas crédible pour les transporteurs.Nous avons donc, dès le départ, travaillé la structuration du réseau d’après-vente.
Nous discutons aujourd’hui avec des réseaux multimarques capables de prendre en charge nos véhicules. Et lorsqu’il y aura des zones moins bien couvertes, nous prévoyons de conclure des accords locaux avec des ateliers qui accepteront d’ajouter un panneau Incitis à côté de leur panneau principal.L’idée est que, pour un transporteur, la solution soit lisible : un interlocuteur clair pour l’exploitation et pour l’entretien. »
Productivité, TCO et zéro émission : la promesse faite aux transporteurs urbains
Truckeditions : Si vous deviez résumer votre promesse à un dirigeant de flotte urbaine, qu’est-ce que vous lui diriez pour le convaincre d’intégrer l’Urban Cargo ?
Eric Poyeton :
« D’abord, nous lui expliquons que nous avons fait le choix de « jouer au Lego » avec des composants éprouvés. Cela signifie que le véhicule repose sur des briques technologiques qui ont déjà fait leurs preuves.
La cabine est une cabine existante, reconnue sur le marché. Le châssis arrière est un châssis de bus ; l’un de nos actionnaires industriels fabrique déjà ce type de châssis pour le groupe Iveco et maîtrise parfaitement cette technologie. Le pack batteries vient de Wattalps, qui compte également InnoEnergy à son capital et qui a déjà des produits en série.
Nous combinons ces composants dans une architecture spécifique, au service d’un usage très orienté productivité urbaine.Pour le transporteur, cela signifie un véhicule innovant, mais avec une base technique rassurante, dont la fonctionnalité est garantie par l’expérience des partenaires. »
Truckeditions : Les transporteurs sont aussi très attentifs au coût total de possession, surtout lorsqu’il s’agit de basculer vers l’électrique. Comment se positionne l’Urban Cargo sur le plan économique ?
Eric Poyeton :
« Notre choix est de positionner l’Urban Cargo au même niveau de prix catalogue que les camions 19 tonnes électriques du marché, pour une charge utile de 8 tonnes.Nous parlons bien de charge utile de 8 tonnes. Ce positionnement est important pour donner aux transporteurs une base de comparaison simple par rapport aux offres zéro émission des grands constructeurs. Nous pouvons nous le permettre parce que notre structure de coûts n’est pas celle d’un grand groupe.
Ensuite, nous apportons environ 30 % de productivité supplémentaire par tournée, ce qui est déterminant pour absorber l’effort de CAPEX lié au passage à l’électrique. Nous avons travaillé un TCO qui intègre une hypothèse de remplacement du pack batteries sur 6 ans, non pas parce que nous doutons de la batterie, mais pour raisonner en valeur d’usage.
Le message que nous faisons passer est le suivant : le TCO d’un Urban Cargo est équivalent au TCO de trois véhicules diesel qu’il remplace. Et, à la fin de la période, le transporteur dispose d’un pack batterie de nouvelle génération, puisqu’il a été intégré dans le calcul. »
Truckeditions : Pour conclure cet entretien, sur quels segments de marché pensez-vous que l’Urban Cargo apportera le plus rapidement de la valeur aux transporteurs urbains ?
Eric Poyeton :
« Nous ciblons d’abord la livraison B2B de magasins en centre-ville, pour des enseignes de distribution spécialisée, la livraison alimentaire pour les restaurants et les bars, ainsi que la blanchisserie, qu’il s’agisse d’écoles, d’hôpitaux ou d’hôtellerie.
Sur ces segments, les contraintes de productivité, de sécurité, de pénibilité et de décarbonation sont particulièrement fortes. C’est précisément là que la combinaison entre la cinématique du véhicule, la baisse du temps de livraison, la charge utile de 8 tonnes et un TCO compétitif prend tout son sens pour les transporteurs. »

Un outil à suivre pour les flottes urbaines
En choisissant de repositionner la valeur ajoutée du véhicule sur la séquence la plus fragile de la chaîne, la livraison en ville, Incitis se place à la croisée de plusieurs attentes fortes du secteur : la maîtrise du TCO sur le dernier kilomètre, la réduction mesurable des émissions en zone dense, la baisse de la pénibilité pour les chauffeurs et la capacité à adresser des métiers très différents à partir d’une même plate-forme. Le calendrier annoncé, qui mène du démonstrateur à la série en plusieurs étapes, rappelle qu’Urban Cargo est un projet industriel au long cours, qui devra confirmer sur le terrain les promesses affichées à Solutrans.
Pour les transporteurs et les chargeurs, l’intérêt de suivre ce dossier tient autant à la nature de l’architecture, fondée sur des composants éprouvés et un écosystème de carrossiers partenaires, qu’à la manière dont ce nouvel acteur entend travailler en complémentarité avec les grands constructeurs. Si les retours d’expérience des premiers clients pilotes valident les gains opérationnels annoncés et la robustesse de l’après-vente, Urban Cargo pourrait devenir l’un des outils concrets dont la filière du transport routier de marchandises a besoin pour concilier productivité urbaine, attractivité des métiers et trajectoire zéro émission.
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