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Pneus connectés et maintenance prédictive : la stratégie de Michelin pour les flottes

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Michelin : Données, pneus, flottes : la prochaine étape pour les transporteurs - Truckeditions.com

Michelin reste, dans l’esprit de beaucoup, d’abord un manufacturier reconnu de pneumatiques. Mais, pour les transporteurs, le groupe s’invite désormais aussi là où se joue le quotidien des flottes : dans la donnée, l’anticipation des pannes et le pilotage fin du coût d’exploitation.

En connectant le pneu au véhicule et en structurant une offre de services autour de la maintenance prédictive, Michelin vient aider les entreprises de transport à limiter les immobilisations, à mieux maîtriser leur TCO et à documenter leurs trajectoires de décarbonation auprès des donneurs d’ordres.

Pneus au kilomètre, plateforme Michelin Connected Fleet, inspection automatique Quickscan, généralisation du RFID sur la gamme poids lourd : l’ensemble dessine un écosystème où le pneu ne se résume plus à une ligne d’achat, mais devient un point d’entrée stratégique pour la gestion de flotte. C’est ce fil que nous avons choisi de tirer avec Michel Vincentelli, Senior Vice President Connected Solutions Business Line Michelin, rencontré à Lyon à l’occasion du salon Solutrans.

Entretien avec Michel Vincentelli, en charge de la ligne Connected Solutions au sein du groupe Michelin - Truckeditions.com
Entretien avec Michel Vincentelli, en charge de la ligne Connected Solutions au sein du groupe Michelin.

Une ligne d’activité dédiée aux solutions connectées

Truckeditions : Vous dirigez la ligne business Connected Solutions de Michelin. Que recouvre précisément ce périmètre ?

Michel Vincentelli – Senior Vice President Connected Solutions Business Line Michelin :
« Je suis en charge de la ligne business des solutions connectées, qui rassemble plusieurs activités complémentaires. La première concerne les pneus vendus « au kilomètre », pour des transporteurs qui ne souhaitent pas acheter leurs pneumatiques mais déléguer ce poste. C’est une offre de paiement à l’usage qui existe depuis environ cinquante ans et qui constitue, à l’échelle du groupe, la première offre circulaire*.

La deuxième activité est le fleet management, sous l’ombrelle Michelin Connected Fleet. En Europe, certains acteurs connaissent encore les marques Masternaut, au Brésil Sascar, ou NexTraq aux États-Unis. Nous mettons à disposition des transporteurs un jumeau digital de leur flotte, qui leur permet de travailler la productivité de leurs véhicules.

Enfin, nous avons une activité de mobility intelligence. Grâce à notre capacité d’analyse des données de mobilité, nous identifions par exemple des zones à risque sur les routes, nous qualifions l’état des infrastructures et nous fournissons à des collectivités, en Europe et aux États-Unis, des outils d’aide à la décision pour mieux utiliser leurs budgets. L’application Truckfly, dédiée au quotidien des chauffeurs, s’inscrit dans ce périmètre .»

Truckeditions : Ce positionnement dépasse la stricte fourniture de pneumatiques…

Michel Vincentelli :
« Oui, clairement. Les transporteurs nous sollicitent désormais sur des sujets beaucoup plus larges : la gestion de leurs opérations, la maîtrise du temps, l’optimisation de l’affectation des chauffeurs, la prise en compte des réglementations et des normes, le suivi de leurs engagements de décarbonation et la tenue de leurs objectifs de productivité. L’ambition de cette ligne d’activité est d’apporter des réponses concrètes à ces problématiques, en s’appuyant sur ce que nous savons faire autour du pneu. »

Connecter le pneumatique : un choix stratégique

Truckeditions : Pourquoi Michelin a-t-il choisi d’intégrer lui-même la connectivité, plutôt que de la déléguer à des spécialistes via de simples partenariats ?

Michel Vincentelli :
« C’est un choix stratégique, qui fait partie de la feuille de route 2030–2032 du groupe. L’idée est d’ajouter, autour du pneumatique, des activités qui étendent notre empreinte, sans nous limiter à la vente d’un produit. Depuis plus de dix ans, Michelin a réalisé un certain nombre d’acquisitions dans l’univers du transport, pour renforcer l’offre de solutions en matière de sécurité, de productivité et de soutenabilité.

Dans les faits, il y a aujourd’hui très peu d’acteurs qui ont réellement réussi à connecter le pneumatique. Beaucoup annoncent de la maintenance prédictive, mais sur le terrain, on se rend compte que ce n’est pas si simple. Il faut aller chercher la donnée, installer des capteurs TPMS lorsqu’ils ne sont pas montés d’origine, capter l’information, bâtir des algorithmes fiables et les confronter à la réalité opérationnelle.

Michelin fait du pneu depuis plus d’un siècle. Cette expérience nous donne une légitimité particulière pour interpréter les données issues du pneumatique. Là où nous voulons nous différencier, c’est sur la capacité à passer de la donnée à l’action. Certains acteurs se limitent à produire un « insight », une information retraitée. Notre objectif est de créer un pont complet entre les données de mobilité, leur traitement par nos algorithmes et la mise en œuvre concrète, sur le terrain, dans les réseaux de service. »

Inspection automatique et Quickscan : de l’inspection manuelle à l’automatisation

Truckeditions : Comment s’articule, concrètement, cette approche sur le plan de la maintenance et du TCO pour les transporteurs ?

Michel Vincentelli :
« Historiquement, la maintenance s’est construite sur des inspections manuelles. Environ 400 000 véhicules sont aujourd’hui sous contrat de pneus en paiement à l’usage. Ils génèrent près d’un million d’inspections par an. Ce sont des hommes et des femmes qui interviennent quand les véhicules sont à l’arrêt et mesurent, à la main, l’état d’usure et la pression, avec des piges et des manomètres.

Nous avons progressivement introduit des dispositifs d’inspection automatique. Environ 100 000 véhicules sont désormais suivis via des installations Quickscan. À chaque passage, le système identifie le véhicule et mesure, position par position, le niveau d’usure. Sur certaines applications spécifiques, comme le bus urbain qui revient quotidiennement au dépôt avec une charge comparable, le dispositif peut également fournir des informations sur la pression. Cela évite qu’un véhicule quitte le dépôt le matin avec un problème qui se révélera en ligne.

Les données peuvent être exploitées directement sur la base où se trouve le véhicule, ou remonter vers nos algorithmes pour être restituées via la plateforme Michelin Connected Fleet, ou encore via une interface avec le système de management de flotte du transporteur. Le Quickscan est aujourd’hui dans sa troisième génération, intégré dans le sol, et conçu pour fonctionner dans des conditions climatiques variées. L’enjeu est d’industrialiser cette capacité de mesure afin de nourrir, de manière fiable, la logique de maintenance prédictive. »

Truckeditions : À partir de quel seuil un Quickscan implanté sur un dépôt devient-il pertinent pour une flotte ?

Michel Vincentelli :
« Nous commençons à étudier la pertinence d’un Quickscan à partir d’environ cent véhicules rattachés à un même site. Entre cent et deux cents véhicules, il faut analyser l’usage, les flux et la fréquence de passage. Nous ne vendons pas un équipement pour lui-même : nous proposons un service d’inspection automatique et de maintenance prédictive. Il faut que cela réponde à un besoin réel, et que cela s’inscrive dans le modèle d’exploitation de la flotte, qu’elle dispose ou non d’un atelier intégré.

C’est là que le travail de nos équipes en proximité est déterminant. Un transporteur de matières dangereuses ou une entreprise de cars régionaux ne gèrent pas les mêmes contraintes. Selon les cas, nous combinons Quickscan, capteurs embarqués et autres sources de données pour alimenter nos algorithmes avec des informations de qualité. »

TCO et sécurité : structurer le poste pneumatique

Truckeditions : Comment ces dispositifs impactent-ils le coût total de possession et la sécurité, que ce soit en transport de voyageurs ou de marchandises ?

Michel Vincentelli :
« Sur les pneus en paiement à l’usage, la logique est celle d’une mutualisation du poste pneumatique et du risque associé. Le transporteur nous demande de tenir ce coût dans une enveloppe maîtrisée. Les transporteurs de voyageurs sont naturellement très sensibles à ces sujets, en urbain comme en interurbain, parce qu’il s’agit de sécurité des passagers. Les transporteurs de marchandises visent eux aussi le zéro incident, avec un TCO optimisé.

Le TCO dépend du prix du pneu, mais aussi de son impact sur la consommation de carburant. La résistance au roulement est un paramètre important, et la pression joue un rôle tout aussi déterminant. Maintenir les pneus en bon état et les emmener le plus loin possible dans leur vie est un levier direct de performance. Un pneumatique qui s’use normalement devient plus efficient au fur et à mesure que la gomme diminue, et nécessite moins d’énergie pour avancer.

En encadrant tout le cycle, du pneu neuf au recreusage et au rechappage exécutés au bon moment, en évitant d’immobiliser les véhicules plus que nécessaire et en allant jusqu’au seuil d’usure réglementaire, on améliore simultanément les coûts, la sécurité et l’image de la flotte. Un incident pneumatique ne se réduit pas au prix du pneu. Selon l’endroit où il survient, il implique des coûts d’intervention élevés, des risques pour le chauffeur et des conséquences sur la relation avec le chargeur. »

Truckeditions : Disposez-vous de retours chiffrés sur les gains liés à la maintenance prédictive ?

Michel Vincentelli :
« Nous avons communiqué sur une promesse chiffrée : la combinaison d’un pneu Michelin et d’une offre de maintenance prédictive permet d’aller chercher jusqu’à 12 % d’économie de carburant, et jusqu’à 80 % de réduction des incidents pneumatiques liés à des problèmes de pression. C’est une promesse que nous suivons de près sur le terrain, en comparant notamment l’évolution des budgets dépannages avec les flottes concernées.

Nous mesurons aussi la satisfaction à l’aide d’indicateurs de type Net Promoter Score. Ils nous permettent de suivre, dans la durée, l’exécution des engagements que nous prenons et la qualité de service délivrée par les réseaux de pneumatiques avec lesquels nous travaillons. Les offres sont encore jeunes, mais nous sommes en croissance et nous gagnons de nouveaux clients. »

Des offres modulaires pour toutes tailles de flottes

Truckeditions : Michelin Connected Fleet s’adresse-t-il en priorité aux grands opérateurs, ou aussi aux PME qui composent une part importante du tissu français ?

Michel Vincentelli :
« La plateforme est la même pour tous, qu’il s’agisse d’une petite flotte, d’un acteur intermédiaire ou d’un grand groupe. Ce qui change, c’est le niveau d’intégration souhaité. Les grandes flottes privilégient souvent des interfaces directes avec leurs systèmes. D’autres clients utilisent plutôt notre portail.

La collecte de données s’adapte au besoin. Nous pouvons installer des boîtiers simples sur prise OBD (On-Board Diagnostics), que le client peut poser lui-même, ou des dispositifs plus intrusifs branchés sur le CAN bus, avec des capteurs complémentaires. Ce n’est pas lié à la taille, mais à la problématique à résoudre.

Un transporteur peut commencer par des fonctions de base comme la géolocalisation et la gestion du temps de conduite, puis activer des modules de caméras pour travailler l’éco-conduite, détecter les risques de collision ou des signaux de fatigue. Dans un contexte de pénurie de conducteurs, cette dimension accompagnement et formation est importante. »

Des interfaces adaptées aux métiers de la gestion de flotte

Truckeditions : Comment se présentent les outils pour les différents profils, du chauffeur au responsable de parc ?

Michel Vincentelli :
« La configuration ne se fait pas indépendamment du fleet manager. Les flottes nous demandent généralement de limiter le nombre d’alertes envoyées au chauffeur, pour qu’il reste concentré sur la conduite. Dans la cabine, cela peut passer par une barre lumineuse qui change de couleur en fonction des comportements de conduite, des excès de vitesse ou de l’éco-conduite.

Côté transporteur, les accès sont différenciés selon les métiers : exploitation, maintenance, direction. La plateforme affiche la cartographie des véhicules, leur statut, la nature des incidents détectés. Des vues dédiées permettent de suivre la consommation, le comportement de conduite, les alertes liées à l’usure ou à la pression en fonction des options souscrites.

Nous avons intégré un moteur d’aide à l’analyse, basé sur l’intelligence artificielle, pour faciliter la génération de rapports et les réponses aux questions des différents utilisateurs. L’objectif est d’envoyer la bonne information à la bonne personne, au bon moment. Le chauffeur n’a pas besoin d’anticiper une opération programmée plusieurs jours à l’avance, alors que le dispatcheur ou l’atelier doivent pouvoir organiser les interventions. Et tout cela se fait dans un cadre conforme aux exigences du RGPD. »

Interface Michelin Connected Fleet - Truckeditions.com
Interface Michelin Connected Fleet

Identité numérique du pneu : le rôle du RFID

Truckeditions : L’intégralité de la gamme poids lourd Michelin est désormais équipée en RFID. Comment cette technologie est-elle utilisée dans votre écosystème ?

Michel Vincentelli :
« Le RFID constitue la carte d’identité du pneu. Il permet d’identifier chaque enveloppe de manière univoque, de la retrouver après un rechappage et d’automatiser la saisie de son identité lors des mesures d’usure ou de pression réalisées sur le terrain. Michelin a été le premier à intégrer du RFID dans ses pneumatiques poids lourds.

Cette technologie ouvre bien entendu des perspectives intéressantes en lien avec les futurs passeports digitaux des produits. Mais nous en sommes encore au début, car l’utilisation du RFID suppose que toute la chaîne soit équipée. Le manufacturier doit intégrer les données dans la puce, les prestataires de services – pneumaticiens, rechappeurs – doivent disposer d’outils pour lire et mettre à jour les informations, et les flottes doivent pouvoir exploiter ces données dans leurs systèmes.

Les outils ont beaucoup progressé, notamment avec les smartphones capables de lire le RFID. Sur le terrain, certains distributeurs travaillent déjà avec des solutions de ce type, parfois fournies par Michelin. Le gain est immédiat : recopier un matricule peu lisible sur le flanc d’un pneu en hiver est source d’erreurs. Avec le RFID, on supprime ces incertitudes, on améliore la gestion des stocks, on sait où se trouvent les enveloppes et l’on suit mieux leur cycle de vie entre usage, recreusage et rechappage.

Notre conviction, c’est qu’un pneumatique a besoin de cette identité tout au long de sa vie. Les offres de pneus à l’usage sont parmi celles qui tirent le plus rapidement parti de cette technologie, parce qu’elles s’appuient déjà sur un suivi fin de la performance et de la durée de vie des enveloppes. »

Données, pneus, flottes : la prochaine étape pour les transporteurs

En Europe, le transport routier de marchandises reste la colonne vertébrale de la logistique. Selon l’ACEA, les camions assurent plus de 75 % du volume de fret intérieur, avec un parc de plusieurs millions de véhicules moyens et lourds en circulation. Dans le même temps, la Commission européenne estime que le transport représente près de 29 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE, dont une part significative liée aux poids lourds. Les objectifs de réduction de CO₂ imposés aux véhicules neufs, tout comme la généralisation progressive des systèmes de surveillance de pression des pneus (TPMS), installent un cadre où la donnée issue du véhicule et du pneumatique devient un levier structurant, et non plus un simple complément technologique.

Pour les transporteurs, la différence se joue désormais entre flottes simplement équipées et flottes réellement pilotées. Télématique, solutions de fleet management et maintenance prédictive ne sont plus des briques isolées, mais des moyens d’agir directement sur le TCO, la sécurité opérationnelle et la capacité à documenter les trajectoires de décarbonation auprès des chargeurs et des financeurs. Dans un contexte de coûts d’exploitation durablement élevés, les gains en consommation, en réduction d’incidents et en maîtrise des immobilisations ne deviennent vraiment différenciants que lorsqu’ils sont objectivés et suivis dans le temps.

L’enjeu n’est donc plus de savoir s’il faut connecter ou non les pneumatiques et les véhicules, mais avec quels partenaires, sur quelles architectures de données et avec quels engagements de résultat. Les solutions portées par Michelin Connected Solutions viennent illustrer cette évolution : elles ne se résument pas à un portail ou à un boîtier, mais à un écosystème où produit, service, données et réseau de partenaires doivent converger. C’est sur cette capacité d’exécution que se jouera, dans les prochaines années, la valeur concrète de la maintenance prédictive pour les flottes françaises et européennes.

CGM pour Truckeditions

Offre circulaire = une offre qui s’inscrit dans un cycle fermé de valeur (réemploi, prolongation de vie, recyclage), plutôt qu’un simple achat/usage/jet.

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