GFS : comment piloter la transition dans un TRM sous tension ?
Entretien avec Jean-Yves Gautier Président GFS et Président de la FNTR Bretagne
Acteur connu de la distribution et de la messagerie dans l’Ouest, GFS a réalisé 70 M€ de chiffre d’affaires sur le dernier exercice clos, l’entité exploite près de 250 véhicules moteurs (environ 400 cartes grises) et délivre 5 000 clients par jour depuis plusieurs sites principalement situés en Bretagne. L’entreprise accélère sa trajectoire bas-carbone sur les usages courts et en milieux urbains et péri-urbains, où l’électrique apporte des gains opérationnels concrets.
Truckeditions a interviewé Jean-Yves Gautier, président de GFS et président de la FNTR Bretagne, au Palais du Pharo à Marseille, le 15 octobre dernier, à l’occasion de Top Transport Europe. Réalisé dans un contexte de pression tarifaire, d’incertitudes réglementaires (énergies, fiscalité) et de tensions sur l’emploi des conducteurs routiers, cet entretien apporte un retour d’expérience concret sur les conditions de réussite des investissements électriques en messagerie et sur les limites actuelles du report modal sur l’arc breton.

Entretien réalisé à Marseille par Catherine Mahé-Godeloup, Truckeditions
Truckeditions :Quels sont les principaux déterminants économiques qui pèsent aujourd’hui sur votre modèle ?
Jean-Yves Gautier :
« Depuis trois ans, la consommation fléchit et, mécaniquement, les volumes transportés aussi. Cette équation intensifie la pression tarifaire lors des appels d’offres, alors que nos coûts progressent : la masse salariale a augmenté d’environ 6 % par an sur les trois dernières années (hors 2025) et l’inflation sur le matériel reste élevée.
À cela s’ajoute la transition énergétique : nous avons retenu l’électrique pour la distribution urbaine et régionale — un schéma pertinent sur des tournées typiques de 150 km et une trentaine d’arrêts — mais l’amortissement reste plus exigeant en messagerie, où un porteur parcourt souvent 32 000 à 40 000 km/an. »
Truckeditions : Comment évoluent les attentes des chargeurs face à la décarbonation ?
Jean-Yves Gautier :
« En sortie de crise sanitaire, l’intérêt pour la transition était fort. Le contexte macroéconomique et la tension sur les prix conduisent désormais certains chargeurs à temporiser. De notre côté, nous ne pouvons pas « geler » nos renouvellements : nos véhicules roulent relativement peu en messagerie et restent longtemps en flotte ; il faut donc poursuivre l’investissement électrique.
L’incertitude réglementaire n’aide pas — l’éventualité d’une taxation du B100, par exemple, brouille les plans d’équipement. À l’inverse, les donneurs d’ordres qui se projettent au-delà de 2026 intègrent déjà l’entrée en vigueur du marché du carbone en 2027 et accompagnent nos trajectoires bas-carbone. »
Truckeditions : Jusqu’à quel niveau pouvez-vous absorber la pression tarifaire ?
Jean-Yves Gautier :
« Notre objectif n’est jamais de perdre un client, mais nous refusons d’exploiter à perte. Si le tarif ne permet pas d’atteindre notre seuil de rentabilité, nous renonçons à la prestation. »
Truckeditions : Quelles dynamiques observez-vous par segment d’activité transport ?
Jean-Yves Gautier :
« Le lot complet est actuellement le plus exposé : la pression y est marquée et certains confrères ont cessé cette activité. À l’échelle régionale, on constate une réduction des flottes ; chez les constructeurs, cela peut se traduire par un marché en retrait de 10 à 15 % selon les modèles. »
Truckeditions : Côté ressources humaines, comment conjuguez-vous attractivité, fidélisation et performance opérationnelle ?
Jean-Yves Gautier :
« En sept ans, nous avons refondu la fonction RH et rajeuni les équipes. Les attentes évoluent : offrir de la visibilité sur le planning et adapter les horaires. La messagerie, avec ses horaires fixes en semaine, répond à cette demande.
Nous comptons 25 alternants pour environ 500 salariés, sur l’ensemble des métiers (exploitation, gestion, RH, conduite, quai, informatique).
Côté conditions de travail, tous les conducteurs livreurs sont dotés de transpalettes électriques accompagnants ; le renouvellement du parc améliore le confort et l’acoustique. L’électrique est très apprécié pour la diminution du bruit et des vibrations. »
Truckeditions :Quelles sont vos priorités en termes d’investissements à court et moyen terme ?
Jean-Yves Gautier :
« Nous avons remis à niveau nos bâtiments (reconstruction de bureaux, toitures, isolation, aménagements de parc) et nous continuons. Notre feuille de route prévoit le déploiement de 60 porteurs électriques sur trois ans. Le calendrier dépendra de la conjoncture : si la confiance et la visibilité reviennent, on accélérera ; sinon, on temporisera. »
Truckeditions : Qu’attendez-vous de vos partenaires chargeurs dans ce contexte tendu ?
Jean-Yves Gautier :
« Nous attendons un partenariat au-delà du prix : anticiper ensemble les besoins et contraintes, fixer des objectifs partagés de performance et co-concevoir les schémas d’exploitation afin de concilier service et soutenabilité économique. »
Truckeditions : Quel point de vigilance souhaitez-vous partager avec le marché, alors que les capacités roulantes diminuent ?
Jean-Yves Gautier :
« Si la contraction des flottes se prolonge, la reprise risque d’être bridée par un manque d’offre : trop peu de véhicules disponibles et, surtout, de conducteurs qualifiés.
Concrètement, cela signifie des délais plus longs, la priorisation de certaines dessertes au détriment d’autres et une tension sur les coûts. Il est donc nécessaire de maintenir un socle de capacités, de sécuriser les plans de renouvellement et d’accélérer le recrutement ainsi que la formation pour être opérationnels au redémarrage. »
Truckeditions : Vous êtes président de la FNTR Bretagne : quels « dossiers » sont jugés prioritaires pour la fédération actuellement ?
Jean-Yves Gautier :
« Deux chantiers structurants se détachent : la fiscalité des carburants et le coût du travail, en particulier l’évolution possible des allègements généraux dits “Fillon”*.
L’impact sur les marges est immédiat alors que, dans notre secteur, la rentabilité nette se situe le plus souvent entre 1 % et 3 % du chiffre d’affaires. Après trois années de hausses de coûts partiellement non répercutées, 70 % des entreprises sont à l’équilibre ou plutôt déficitaires.
Autre priorité très opérationnelle : les déviations et la congestion autour de Saint-Brieuc, Vannes, Rennes, etc., qui dégradent fortement la productivité et la qualité de service. »
Truckeditions : À quelles conditions le ferroviaire peut-il devenir une alternative opérationnelle et compétitive en Bretagne ?
Jean-Yves Gautier :
« Le goulot de Rennes demeure déterminant. Pour le fret ferroviaire, la fréquence et la compatibilité P400** sont essentielles. Le sujet est avant tout infrastructurel (tunnels, gabarits).
Le rail devient compétitif au-delà d’environ 700 km, si les fréquences permettent une bonne utilisation du matériel. Faute de gabarits adaptés, les liaisons Rennes–Lyon recourent souvent à des caisses mobiles, conséquences : volume utile réduit, châssis additionnel, coûts en hausse.
Par ailleurs, la montée en charge des TER en région, consomme des sillons au détriment des fenêtres fret, allongeant les itinéraires de convois plus lents. Dans ces conditions, la route conserve un rôle central, sans opposition de principe entre modes. »
Truckeditions : Finalement, quelles conditions faut-il rassembler pour optimiser l’activité TRM ?
Jean-Yves Gautier :
« Les transporteurs souhaitent s’inscrire dans la transition et le multimodal. Le succès repose sur la convergence de trois facteurs : infrastructures adaptées, équation économique soutenable et besoin client clairement exprimé. Sans cet alignement, le service devient plus coûteux et moins fiable : ce n’est pas tenable dans la durée. »
Face à une équation économique de plus en plus contrainte, GFS illustre la capacité d’adaptation du transport régional, entre investissements ciblés, innovation opérationnelle et dialogue renforcé avec les chargeurs. En Bretagne comme ailleurs, la soutenabilité du TRM repose désormais sur un pilotage au plus près des réalités terrain, appuyé par des politiques publiques lisibles et des schémas logistiques plus collaboratifs.
Rappelons qu’en matière d’innovation comme de performance opérationnelle, c’est souvent dans la proximité, la lisibilité des choix et la constance des engagements que peut se jouer la résilience du secteur.
* Mémo – Allègements « Fillon » : mis en place en 2003, ces allègements généraux permettent aux entreprises de réduire les cotisations patronales sur les bas salaires, jusqu’à 1,6 SMIC. Dans le transport routier, ils constituent un levier majeur d’équilibre économique. Leur éventuelle remise en cause inquiète fortement la profession, en raison de son modèle à forte intensité de main-d’œuvre et de marges très contraintes.
**P400 : semi-remorques routières ≤ 4 m, compatibles avec les wagons surbaissés aussi appelés “wagons poche”.
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